Il le regardait parler avec un sournois mélange d'admiration et de jalousie. Il captait intensément l'attention de toute son audience qui buvait ses paroles tandis que l'on distinguait dans le regard de ses spectateurs ébahis un enthousiasme et une passion pour ses récits. Il était grand et beau. Le coude posé sur la table, la cigarette à la bouche, l'air rebelle, il faisait de grands gestes mais parlait posément. Ses profonds yeux verts et ses boucles brunes semblaient se mouvoir prodigieusement au rythme de ses paroles. Il n'était pas fermé au débat et répondait avec véhémence mais toujours de manière très réfléchie si bien qu'au fur et à mesure plus personne ne le contestait. Son discours était limpide et chacune de ses paroles arrivaient à l'instant parfait des conversations. Il n'était pourtant ni hautain, ni arrogant, même plutôt modeste et il ne lui trouvait aucun des défauts typiques qu'il observait souvent chez les "fugazi", ces beaux parleurs habituels à tendances mythomane qui parlent sans ne rien dire. Il semblait naturellement admirable et il voyait en lui toutes les qualités qu'il n'avait pas. Lui, ne produisait pas ce genre d'effet. Certes, il avait l'impression d'avoir déjà reçu ces regards d'adoration de la part de certaines personnes, mais c'était des cas rares, isolés et jamais il n'avait captivé quelqu'un autant que lui le captivait.
Il voyait également la façon dont Athéna le regardait. Elle aussi, était pendue à ses lèvres et dés lors qu'il était arrivé il avait eu l'impression de disparaître à ses yeux. Elle ne lui adressait la parole plus que très rarement, presque comme par politesse. Ils échangeaient quelques mots sans grande conviction mais il comprenait vite qu'il ne l'intéressait pas autant que lui. Il aimerait qu'un jour, elle le regarde - lui qui n'avait jamais vu qu'elle - avec le même enthousiasme. Il désirait son désir. Il voyait tous les petits signes qu'elle lui envoyait, ses légers rougissements quand il la taquinait, sa manière de répondre sans vraiment le regarder tout en jouant avec ses cheveux : il voyait son attirance pour lui. Attirance que lui, n'avait jamais réussi à acquérir. Il n'y arriverait pas et c'était mathématique, son adversaire lui était largement supérieur. Il essayait de se rassurer en se disant qu'Athéna finirait par choisir l'amour intense plutôt que l'attirance éphèmére mais se rendait rapidement compte qu'il ne s'agissait que d'une extrême manoeuvre de son esprit pour ne pas sombrer dans le désespoir. Il comprenait le choix d'Athéna, il était simplement moins bien que lui et rien ne pourrait changer ça. Il décida de partir plutôt que de continuer à s'amoindrir sous l'ombre de ce nouveau prophète. Il se leva brusquement, enfila son long manteau noir, salua ses amis, jeta un dernier regard à Athéna qui lui fronça les sourcils en signe d'incompréhension, et quitta la soirée.