C'était donc en repensant à sa journée d'hier qu'il sortit de son lit. Il prit son café en fumant une cigarette devant le spectacle matinal que lui offrait sa fenêtre, se fit couler une douche chaude et s'habilla de sa plus belle chemise. Il mit une attention particulière à être correctement présentable pour ce premier jour de travail. Il était prêt à affronter toutes les tâches difficiles que lui attribuerait son mystérieux employeur.
Lorsqu'il sortit, le temps était devenu gris et désagréable, il se dirigea rapidement vers la station de métro où il courut pour entrer de justesse dans sa rame, bousculant quelques personnes sur son passage. Il ne poussait les gens que très rarement, mais aujourd'hui il ne voulait absolument pas être en retard. Rassuré de ne pas avoir raté ce métro, il se faufila pour s'adosser contre la porte arrière du wagon. Puis, une fois délivré du stress de la précipation, il observa comme à son habitude la multitude de personnes qui partageaient son train et s'amusait de l'ambiance singulière du métro. C'était à ses yeux l'un des seuls endroits où l'on voyait des hommes et des femmes de tout milieu regroupés dans le même calvaire. Les hommes d'affaires dans leur costume flambant neuf, les jeunes écoliers et leur énorme cartable, les peintres de chantier et leur tablier taché, tous étaient là, tous plus proches les uns des autres, et tous attendaient patiemment, les yeux dans le vide, que le train finisse sa route.
Près de la porte avant du wagon, une jeune femme lui tournait le dos. Elle était plutôt petite mais se tenait fièrement droite au milieu de la foule. Ses cheveux lisses formaient un parfait carré court qui prenait fin juste au dessus de ses épaules. Ils étaient d'un noir de jais profond et semblaient extrêmement doux. Ses cheveux étaient si beaux que même sans avoir vu son visage, il devinait à cette femme une beauté certaine. Elle tourna brièvement la tête, comme consciente d'être observée, et il put apercevoir, au dessus de son masque qui lui cachait le nez et la bouche, le regard précipité de ses yeux marrons. Le train s'arrêta sans qu'il s'en rende compte et il cessa de rêver pour prendre part à la vague déferlante des gens pressés. Il sortit sous le ciel gris de la ville et se mit à marcher en direction de la grande laverie qui devait se trouver à une centaine de mètres. Une fois face à l'entrée de celle-ci, il s'arrêta un instant et regarda l'heure. Il était huit heures quarante-neuf. Il était peut-être un peu trop en avance et après quelques secondes d'hésitation, décida finalement d'attendre quelques minutes assis sur un banc. Il plongea sa main dans les poches de son manteau et sortit machinalement une feuille à rouler et un peu de tabac pour se lancer dans la fabrication d'une cigarette. Mais une fois celle-ci terminée, il hésita, il ne voulait pas que l'odeur du tabac fasse mauvaise impression à ses futurs collègues et il se rendait peu à peu compte qu'il aurait probablement eu moins de plaisir à la fumer qu'il n'en avait eu à la rouler. Il glissa sa cigarette dans la poche avant de sa chemise et se dirigea vers l'entrée de la grande laverie.
L'entrée de la grande laverie, située près d'un angle du bâtiment, donnait sur un bureau d'accueil spacieux qui redirigeait la plupart des personnes vers une boutique touristique qui, à defaut de proposer des visites des lieux, vendait une grande diversité de produits dérivés. Lorsqu'il arriva devant l'agent d'accueil, il expliqua qu'il venait pour commencer une période d'essai de trente jours qu'on lui avait proposée après un bref entretien téléphonique. L'agent l'observa de la tête aux pieds comme pour juger sa corpulence et sembla vérifier quelque chose sur son ordinateur.
"-0877428147 je présume ?En remerciant l'agent, il entra hâtivement dans l'ascenseur qu'on lui avait indiqué - celui-ci était ouvert depuis plusieurs minutes et pouvait repartir à tout moment - et pressa le numéro huit. L'ascenseur s'arrêta tout d'abord au troisième, où sortirent la plupart des gens qui l'accompagnaient, puis au quatrième, où deux personnes poussant un énorme chariot rempli de vêtements soigneusement pliés rentrèrent. Divers bruits de machines se faisaient entendre à mesure que l'ascenseur s'élevait et lorsqu'il sortit au huitième il y avait un ronronnement permanent de moteur. Le huitième donnait sur un large couloir qui traversait l'étage en entier et qui, au milieu de celui-ci, rencontrait un autre couloir perpidenculaire tout aussi large que lui pour former une croix qui séparait l'étage en quatre carrés égaux. Sur les murs, quelques fenêtres laissaient apparaître plusieurs longs tubes de verre qui traversaient le bâtiment et à l'intérieur desquels se trouvait un rail métallique où l'on voyait défiler un grand nombre de vêtements. Il prit alors conscience de la forte odeur de lessive qui régnait dans l'atmosphère et sourit : la grande laverie n'était sûrement qu'une grande laverie. Étonné et amusé par cette théorie qui lui semblait actuellement être la plus probable, il arriva de l'autre côté du couloir et un panneau lui indiqua de tourner à droite pour rejoindre les salles B600 à B643. Après quelques pas, il aperçut une porte opaque d'un gris métallique où était inscrit "Salle B612 - RESSOURCES HUMAINES", il s'arrêta pour se redresser et prendre une grande inspiration avant de toquer trois fois à la porte.