Il était assis à son balcon appréciant la douceur du soleil qui rayonnait brillament. Il était bien, sa tasse de café à ses côtés et de la musique française en arrière plan. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas fait aussi beau, que sa journée n'avait pas été aussi belle. Il se sentait à présent - lui qui n'avait pas pour habitude de prendre des initiatives patissières - étrangement motivé à cuisiner un gâteau. Il n'avait malheureusement rien acheté pour cela : pas de chocolat, pas de fruit hormis une poignée de bananes, pas d'amandes, de noix ou de noisettes. Il réfléchissait à se lancer pour la première fois dans la préparation d'un pain. Au loin, une discussion en anglais interrompit le cours de ses pensées : lui qui était ici étranger et habitué à devoir écouter avec attention remarquait rapidement les accents des gens pour qui comme lui, l'allemand n'était pas la langue maternelle et était toujours particulièrement attentif lorsqu'il entendait d'autres langues, peut être avec un espoir caché d'entendre du français. Il s'agissait de deux jeunes femmes en talons aiguilles qui se baladait prés du petit jardin sur lequel son balcon donnait vu. Il y avait cette singulière asiatique qu'il avait déjà remarqué à maintes reprises, elle était toujours très finement habillée de cette façon dont s'habillent les gens qui inventent la mode et promenait toujours un espèce de gros lapin brun. Il la surprenait souvent attachant une laisse au collier de son rongeur et tentant de le promener comme un chien. L'opération était toujours un échec : l'animal, une fois posé par terre, ne faisait que déglutir en agitant ses gros yeux rouges globuleux et refusait de se mouvoir.
Il l'observait galérer ainsi depuis la chaise confortable de son balcon et pensait à ce moment : Qu'est-ce que ce monde pouvait être étrange quelques fois ! L'avantage d'être étranger est qu'instinctivement il tendait à attribuer toutes ces curieuses petites choses à l'exotisme de son pays hôte. Lui qui était de l'avis que les frontières n'étaient que des lignes fictives tracées par l'Homme sur des cartes, se sentait pourtant très souvent différent. En y réfléchissant il souriait : il était en soi totalement probable de se retrouver dans cette situation dans son propre pays mais il aurait alors dû trouver une autre explication à cette curiosité, tandis qu'ici il lui suffisait simplement de mettre cela sous le coup de la différence culturelle. C'était un peu comme si, dés ses premiers instants sur ce sol étranger, il pouvait expliquer toute l'étrangeté du monde et l'absurdité de la société par l'exotisme du pays qui l'accueillait.
C'est ainsi qu'il regardait avec amusement cette jeune femme asiatique tentant de promener en laisse son gros lapin brun. Elle finit - comme à son habitude - par abandonner et porta l'animal pour le poser dans son sac à main où il se lova si bien qu'on ne distinguait plus que deux yeux rouges qui dépassaient. Les deux jeunes femmes s'éloignèrent et avec elles disparaissaient le bruit des talons sur le bitume et le curieux gros lapin brun. Il ne put s'empêcher de continuer à penser : Quel curieux pays !