Le ronronnement du métro accompagnait ses pensées et il se lamentait sur cette horrible journée. Horrible ou pas, ce n'était au final qu'une journée comme les autres. Il s'était levé à huit heures, avait pris son métro bondé comme à son habitude, s'était assis devant son ordinateur pendant de longues heures, avait participé à quelques réunions de cohésion d'équipe avant de manger un croque-monsieur abject qu'il avait acheté à la boulangerie qui se trouvait face à son lieu de travail, il avait fait mine d'écouter son chef - gentil mais ennuyant - qui lui racontait son parfait week-end en famille à la campagne où sa petite fille de six ans et demi qui commençait à savoir lire était tombé de sa bicyclette en voulant s'éloigner du taureau qui la regardait derrière une clotûre électrique ; il s'était de nouveau assis à son bureau, avait régulièrement regarder l'horloge comme pour s'assurer que les aiguilles continuaient de tourner et enfin il s'était levé, avait salué ses collègues d'un sourire forcé pour se retrouver ici, dans son métro de retour où il prenait part à cette masse de personnes au regard hagard. Comme souvent lorsqu'il s'ennuyait, il sortit son téléphone portable et commença à défiler les photos des uns et des autres qui se présentaient sur son fil d'actualité. Des jeunes femmes au corps terriblement séduisant qui posaient sur des jet-skis à Dubaï, des hommes musclés en costume impeccable qui secouaient des bouteilles de Dom Pérignon à Miami, son ancienne amie partie en mission humanitaire qui partageait les étapes de construction d'une école au milieu du désert, où elle avait rencontré l'amour, un espagnol, volontaire humanitaire lui aussi, qu'on remarquait souvent travailler sur son Macbook Pro à l'arrière plan des photos. Lui était là, sans but extraordinaire, sans muscles développés, sans personne à ses côtés, subissant chaque jour son quotidien harassant.
Il rangea son téléphone dans la poche de sa veste et leva les yeux vers la porte vitrée du métro. Il regardait son reflet et son reflet le regardait. Il n'était pas beau. Malgré tout ce qu'il mettait en oeuvre pour essayer d'être cet homme modèle au corps sculpté et aux vêtements à la mode, il n'y arrivait pas et cela le frappait comme une évidence lorsqu'il croisait son propre regard. Il remarquait l'atroce asymétrie de son visage : ses petits yeux noirs qui ne semblaient pas alignés, ses étroites lèvres tordues et son nez proéminent qui traversait sa figure en diagonale. Il voyait ses cheveux gras qu'il s'efforçait de coiffer vers l'avant pour couvrir les prémices de calvitie qu'il avait déjà détectées. Toujours à travers la vitre de la rame, il voyait les gens qui l'entouraient, un groupe d'adolescents riaient aux éclats dans une discussion animée, un couple se tenait la main avec douceur, un vieil homme lisait un livre assis sur le strapontin, un homme en costume qui faisait deux têtes de plus avait des airpods et regardait une série Netflix sur son téléphone ... Ce devait sûrement être une de ces personnes qu'il voyait sur les réseaux et à qui tout souriait, il se tenait droit et fier, avait entre ses jambes une malette noire et le bout de sa manche laissait découvrir une montre impeccable. Il regarda une derrière fois son propre reflet et comprenait à quel point il était loin de lui. Il se sentait faible et impuissant. Le métro s'arrêta et il décida de sortir, ce n'était pas sa station, mais il continuera son trajet à l'extérieur.