C'était la troisième fois que son réveil sonnait quand il se réveilla, ou peut-être était-ce la quatrième ? Un réveil difficile en tout cas. Le jeune homme ouvrit subitement les yeux : pour une raison inconnue cette sonnerie là avait été particulièrement brutale pour lui. Il allongea vivement son bras de sorte à récupérer son téléphone près du lit et regarda l'heure. Tout allait bien, il n'était que sept heures ce qui lui laissait aisément le temps de se préparer. Rassuré, il s'allongea de tout son dos et fixa un petit moment son plafond tout en se remémorant silencieusement l'étendue des défis qui l'attendaient aujourd'hui. Rapidement, il se laissait imprégné par un subtil mélange d'angoisse et d'excitation à l'idée de commencer son tout nouveau travail à la grande laverie. Il ne savait pas à quoi s'attendre, en effet l'annonce avait été particulièrement courte et mystérieuse, il n'y avait dans le journal où il l'avait trouvée qu'une rapide description "EMPLOI ÉTHIQUE À LA GRANDE LAVERIE" suivie d'un numéro de téléphone de contact. Une bien piètre annonce mais qui détonnait tout de même dans cette page quasiment blanche des offres d'emploi. Et puis, vu l'état actuel du monde du travail, il se devait bien d'essayer tout ce qui lui tombait sous la main. Sans grande conviction, il avait composé le numéro et après de longues secondes de bips sonores il était tombé sur la voix sympathique et chantante d'une jeune femme :
"-Bonjour, je vous appelle au sujet de votre offre d'emploi que j'ai trouvée dans le journal d'aujour..Elle n'avait même pas pris son nom ! Et puis la grande laverie n'était sûrement pas une agence de mannequinat, à quoi rimaient donc ces questions ? Il retira la balance de sous ses pieds et se dirigea vers son salon. Il faisait beau et les premiers rayons du soleil pénétraient la pièce à travers une longue fenêtre centrale. Derrière la fenêtre s'agitaient les feuilles des arbres de la cour intérieure sur laquelle elle donnait, une cour des plus pittoresques où vagabondaient certaines fois quelques poules en sautillant pour éviter les affaires de chantier éparpillées sur le sol bétonné. La vue n'était pas magnifique, on distinguait le haut de plusieurs tours d'immeuble embrumé de la fumée habituelle des grandes villes mais certaines fois seuls la beauté du soleil et son influence magique sur les couleurs du ciel suffisaient à rendre la scène particulièrement séduisante. Il aimait s'asseoir près de cette fenêtre en buvant son café et laisser son regard s'enfoncer dans le magnifique abîme de l'horizon que l'on ne voit à présent que très rarement. Il réfléchissait paisiblement lorsque son téléphone sonna. Étonné par cette appel, il se précipita vers celui-ci : c'était le numéro de la grande laverie. Déjà ? Il devait s'être passé moins d'une dizaine de minutes depuis sa conversation intriguante avec la jeune femme. Cette fois-ci c'était un homme âgé à la voix désabusé qui décrocha:
"-Je vous appelle au sujet de votre candidature à la grande laverie. Nous pensons que vous remplissez les critères nécessaires à l'emploi et souhaitons vous rencontrez au plus vite pour l'étape suivante de votre candidature.Son interlocuteur était déjà parti. Il ne lui avait toujours pas demandé son nom et lui avait directement proposé une période d'essai de trente jours. Au vu du taux de chomâge extrêmement important c'était maintenant une étape courante lors des offres d'emploi sans haute qualification de demander une très longue période d'essai durant laquelle tous les candidats travaillaient gratuitement et au bout de laquelle seuls les plus performants décrochaient un contrat payé pour plusieurs années. Trente jours c'était même assez peu comparé à ce qui se faisaient dans la plupart des bureaux. En y pensant, il se trouvait très chanceux : dans un mois il pourrait être employé ! Ce pourrait enfin être le début de son indépendance, la fin de cette vie de jeune adulte fauché qui déçoit ses parents et il pensait déjà à tout ce que cela impliquait. Quitter son vieil appartement, s'installer dans un quartier sympa et faire des économies pour plus tard. Depuis longtemps, l'argent se faisait rare pour lui et l'idée de sortir de cette triste situation le rongeait l'esprit. Bien sûr, qu'il ira demain à neuf heures. Et puis, si l'entretien était si court c'est que ce ne pouvait pas être un métier bien compliqué.
La grande laverie était un bâtiment particulièrement imposant bien que relativement petit en hauteur - il devait faire à peu prés la moitié en taille du plus grand des immeubles qui l'entourait - il occupait entièrement la place d'un pâté d'immeuble et surpomblait le centre historique de la ville. C'était un amas de diverses pièces métalliques traversés par des immenses tubes de couleur criarde : une sorte de monstre de l'architecture moderne qui attirait tous les regards, sans que l'on puisse distinguer notre dégoût de notre admiration mystérieuse pour sa beauté cachée. C'est pour cela que tout le monde connaissait la grande laverie, ce bâtiment d'apparence peu commune séduisaient les touristes de plusieurs pays qui parcouraient des milliers de kilomètres pour voir de leur yeux cette nouvelle tour Eiffel. Comme tous le monde, il avait été lui aussi intrigué lors de son arrivée ici, il se souvient s'être arrêté de longues minutes pour l'observer au milieu de la vague de touristes qui l'entourait. Mais aujourd'hui, après plusieurs années, il ne lui arrivait que très rarement de la regarder lorsqu'il passait dans le centre ville.
Personne ne savait vraiment ce qui se faisait dans ce lieu rocambolesque et différentes légendes urbaines se faisaient entendre, on le disait être un centre de recherches scientifiques du ministère de la défense, des bureaux secrets d'une multinationale, des studios de tournages de dernière technologie ... Des théories des plus farfelues. Toutes ces interrogations, qui avaient commencé dés le début de la construction, n'ont eu comme réponse qu'un court article du maire à ce sujet qui expliquait que le terrain appartenait désormais à une entreprise privée qui était dans son droit de ne pas vouloir communiquer sur son identité. C'était tout ce qu'on savait. Ce gros bâtiment appartenait à une entreprise qui se voulait discrète au point de ne pas communiquer son nom alors que le monde entier venait admirer ses locaux ! Lui n'y avait jamais prêté grande attention, la grande laverie ne faisait de mal à personne et les commérages des uns et des autres sur ce qui se passait à l'intérieur de bâtiment ne l'intéressaientt absolument pas. Demain à neuf heure, il fera de son mieux pour décrocher ce travail et tant mieux si par la même occasion il sera capable d'alimenter la discussion sur le mystère de ce lieu.